Un ami musulman m'a envoyé un lien vers un post sur X (supprimé depuis) qui tentait de démontrer que l'utilisation du mot jew (juif) dans les Bibles anglaises est une erreur de traduction. L'argumentation laissait à désirer (c'est peut-être pour cela que ça a été supprimée ?), mais nous pouvons peut-être en profiter pour poser la question de quels sont les mots grecs et hébreux qui sont traduits par « juif » en français et quel est le sens de ces mots.
L'affiche sur X a souligné que le mot grec utilisé dans le Nouveau Testament est Ιουδαιος (Ioudaios), et leur traduction proposée était Judéen plutôt que Juif. En d'autres termes, ils proposaient que nous considérions ce terme comme un terme géographique plutôt qu'un terme ethnique. Un Ιουδαιος serait donc une personne de la province de Judée, et non un descendant de Jacob.
Il n'est pas nécessaire de connaître les langues bibliques pour voir le problème fatal de cette théorie. Une simple recherche du mot « juif » dans le Nouveau Testament (Ιουδαιος si vous voulez être précis et que vous savez le faire) montrera que le mot est systématiquement utilisé pour désigner un groupe de personnes défini par une ascendance commune et non par un territoire partagé. Tout d'abord, il y a des Juifs en Galilée (Jn 6), qui ne fait pas partie de la Judée. De plus, dans le livre des Actes des Apôtres, on trouve des Ιουδαιοι dans toutes les villes du bassin méditerranéen. Ces personnes ne sont pas originaires de la Judée, mais elles se réunissent dans une synagogue, pratiquent la loi de Moïse et comptent Abraham, Isaac et Jacob parmi leurs ancêtres. Puis, dans les épîtres, Ιουδαιος est systématiquement utilisé en opposition au grec ou au païen. Par exemple :
Il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme, car vous êtes tous un dans le Christ Jésus. (Ga 3.28)
Quel est donc l'avantage du Juif ? Ou quelle est la valeur de la circoncision ? Beaucoup à tous points de vue. Tout d'abord, les Juifs se sont vu confier les oracles de Dieu. (Ro 3.1-2)
Car les Juifs demandent des signes et les Grecs cherchent la sagesse ; nous, nous prêchons le Christ crucifié, pierre d'achoppement pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, le Christ est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu. (1 Co 1.23-24)
Après avoir parcouru le Nouveau Testament, nous devons revenir en arrière et jeter un coup d'œil à l'Ancien. Aucune étude d’un mot grec n'est complète sans voir comment le mot est utilisé dans la Septante (abrégée LXX), la traduction grecque de l'Ancien Testament réalisée au cours des siècles précédant la naissance du Christ.
Le mot Ιουδαιος y traduit systématiquement le mot hébreu יְהוּדִי (yehudi), qui est simplement la forme adjective du nom de Juda. C'est litéralement Judéen. Selon le contexte, le English Standard Version traduit ce terme par Judéen ou par Juif :
Comment Judéen, c'est-à-dire « de la tribu de Juda », devient-il Juif, remplaçant le terme Israélite ? La réponse est qu'à l'époque précédant l'exil, Israël et Juda étaient deux royaumes distincts. Les Israélites étaient ceux du royaume du Nord, et les Judéens ceux du royaume du Sud (avec Jérusalem pour capitale et l'héritier de David pour roi). Le royaume du nord est parti en exil bien avant le royaume du sud, et la majorité des descendants de Jacob qui ont conservé leur identité pendant l'exil appartenaient à la tribu de Juda. Comme la plupart d'entre eux étaient des Judéens, le terme « Judéen » a fini par s'appliquer à tous.
C'est ça l'usage dans le livre d'Esther où Mardochée de la tribu de Benjamin (2.5) est appelé un יְהוּדִי qui est traduit Ιουδαιος dans la Septante et Juif dans nos bibles françaises. De même, dans le Nouveau Testament, les prêtres (de la tribu de Lévi) sont juifs, tout comme Paul (de la tribu de Benjamin).
En bref, l'utilisation du mot « juif » dans les bibles françaises n'est pas une erreur de traduction et, en règle générale, si quelqu'un affirme que pratiquement toutes les versions de la Bible en français ou en anglais se trompent sur une question de traduction, vous pouvez ignorer cette personne en toute bonne conscience.