L'apologétique ? Pourquoi ? Comment ?
J’ai écrit cet article originellement pour un cours d’apologétique à la Faculté Jean Calvin.
D’ailleurs, quand vous souffririez pour la justice, heureux seriez-vous ! Ne craignez pas ce qu’ils craignent, et ne soyez pas troublés. Mais, dans votre cœur, consacrez le Christ comme Seigneur ; soyez toujours prêts à présenter votre défense devant quiconque vous demande de rendre compte de l’espérance qui est en vous, mais faites-le avec douceur et respect, en ayant une bonne conscience ; afin que, sur le point même où l’on vous accuse, ceux qui injurient votre bonne conduite dans le Christ soient pris de honte.
1 Pierre 3.14-16
Qu’est-ce que l’apologétique, et quelle en est la portée pour nous ? La réponse à cette question commence avec 1 Pierre 3.15. Premièrement, le mot « défense » qu’on y trouve est en grec απολογια (apologia) d’où vient notre mot apologétique. Donc, une apologétique est une défense raisonnée de quelque chose, et dans ce contexte, c’est l’espérance des chrétiens qui est défendue. Deuxièmement, ça nous concerne parce que Dieu nous commande ici d’être toujours prêts à offrir cette défense quand l’occasion arrive. Il est bon alors de considérer ce qu’est précisément l’apologétique chrétienne, pourquoi elle est nécessaire, et comment nous pouvons la mettre en pratique.
Qu’est-ce que l’apologétique ?
Les destinataires originels de cette lettre de Pierre étaient dans un contexte de persécution (v. 14) où les chrétiens ont été accusés de plein de choses, et dans cette situation Pierre leur recommande de ne pas rester silencieux, mais d’être prêts à donner une raison pour leur espérance chrétienne. Ils avaient besoin d’expliquer qu’ils n’ont pas abandonné les traditions de leurs ancêtres par méchanceté ou manque de respect, mais parce qu’ils étaient convaincus, avec bonne raison, que Jésus avait vraiment ressuscité et qu’ils avaient la vie éternelle en lui. Donc, l’apologétique implique une explication de ce que nous croyons et pourquoi, et généralement une réfutation des objections contre la foi.
Normalement ce que nous appelons apologétique est limité à nos paroles, mais ce n’était pas seulement en paroles que les croyants du premier siècle rendaient raison de leur foi. Pierre mentionne aussi leur bonne conduite (v. 16) qui était, elle aussi, un témoin de la vérité du christianisme. En fait, nous avons toujours besoin des deux. Nos actes ont besoin d’être expliqués par nos paroles pour que les gens sachent que nous agissons par amour pour Dieu et non simplement parce que nous sommes des personnes gentilles. Et nos paroles ont besoin d’être concrétisées par nos actes ou nous nous présenterons comme des hypocrites. C’est pour cette raison que nous adopterons la définition de l’apologétique offerte par Yannick Imbert : « L’apologétique est la démonstration, en paroles et en actes, et dans toutes les activités humaines, de la vision chrétienne (biblique) du monde, face à toutes les visions non-chrétiennes du monde1. »
Quel est le but de l’apologétique ?
Avant de préparer cette démonstration de la vérité de la foi en Jésus, il est nécessaire que nous réfléchissions sur notre but. Quel est notre but lors de cette confrontation entre deux visions du monde ? Au moment où nous discutons avec quelqu’un, il est très facile que notre objectif devienne celui de « remporter le débat, » mais dans ce cas nous cherchons notre propre gloire et non plus la gloire de Dieu. Ou peut-être, avec plus de considération pour la personne avec laquelle nous discutons, nous pouvons penser que notre but est de convaincre l’autre, de faire qu’elle se convertisse. Il faut admettre par contre, que la conversion est l’œuvre de Dieu et ne peut pas être produite par un effort humain. Ce que Dieu attend de nous dans nos rencontres apologétiques n’est pas un certain résultat, mais notre fidélité. Le vrai but de notre apologétique n’est pas d’accomplir quelque chose sur le plan humain, mais de plaire à notre Dieu. Et en cherchant la gloire de Dieu, nous poursuivons deux objectifs.
Le premier objectif de l’apologétique chrétienne est de glorifier Dieu en montrant la cohérence et la beauté de la foi que Dieu nous a révélée. Ici il n’est pas question de « prouver » quelque chose, mais de répondre aux questions et aux objections du monde avec une explication de la cohérence de la vision chrétienne du monde. On nous dit que le christianisme ne peut pas être vrai à cause de X, et nous expliquons la façon dont X se situe très bien dans notre vision du monde. C’est le côté positif de l’apologétique où nous présentons notre foi devant le monde, mettant en valeur son pouvoir pour expliquer le monde et aussi sa beauté. Nous « [racontons] parmi les nations sa gloire, parmi tous les peuples ses merveilles ! » (Ps 96.3 cf. Act 17.2-3)
Le deuxième objectif de notre apologétique est de glorifier Dieu en montrant l’incohérence des mensonges du diable. Ceci est le côté négatif de l’apologétique où nous montrons l’impossibilité de la vision du monde mise en opposition à la foi chrétienne. Nous vivons tous dans le monde que Dieu a créé, et donc toute vision du monde autre que la vraie aura des contradictions2. En exposant ces contradictions, nous détruisons une idole qui empêche les gens de voir la gloire du seul vrai Dieu. Comme Paul, « nous renversons les raisonnements et toute hauteur qui s’élève contre la connaissance de Dieu, et nous amenons toute pensée captive à l’obéissance de Christ » (2 Cor 10.5, cf. 1 Jn 3.8, 2 Tim 2.25).
Bien sûr, nous espérons que notre effort de glorifier Dieu par une apologétique fidèle, aura pour effet aussi des conversions à Christ. Nous savons que Jésus est en train de bâtir son Église, et que le Saint Esprit se sert normalement de notre présentation de l’Évangile pour appeler les élus. Donc, en ne visant que la fidélité par notre apologétique, nous semons ces vérités dans l’espérance d’une récolte spirituelle.
Comment faire de l’apologétique ?
Ayant vu que l’apologétique recommandée par Pierre est une démonstration de la vision du monde chrétienne face à des visions non-chrétiennes, et que par l’apologétique nous défendons la cohérence de cette vision du monde tout en montrant l’impossibilité des alternatives, la question reste : comment, pratiquement, ferons-nous cette apologétique3 ? Comme dans la dernière partie nous avons distingué un côté positif et un côté négatif de l’apologétique, nous ferons la même distinction pour la pratique. Mais avant ça nous avons besoin de bien comprendre la base de notre vision du monde, la parole de Dieu.
La base : pourquoi croire à la Bible ?
Tout ce qui est essentiel à la vision du monde chrétienne vient de la Bible, mais quelle est la base de la Bible elle-même ? Nous pouvons imaginer qu’il faut trouver un argument rationnel pour prouver que la Bible est la parole de Dieu avant de pouvoir utiliser la Bible comme base pour notre vision du monde. Mais si la Bible elle-même était basée sur un raisonnement humain, elle ne pourrait pas avoir plus de poids que la raison humaine peut en soutenir, et donc elle ne pourrait pas fonctionner comme la parole infaillible de Dieu. En fait, l’authentification de la Bible ne dépend pas de la raison humaine, mais vient directement de Dieu. Jean Calvin explique ça avec une analogie :
Quant à la question de ceux qui demandent d’où et comment nous avons acquis la certitude que l’Écriture vient de Dieu […] elle revient à demander comment nous apprendrons à distinguer la clarté des ténèbres, le blanc du noir, le doux de l’amer. L’Écriture en elle-même a le pouvoir de se faire connaître de façon aussi évidente et infaillible que la couleur blanche ou noire d’une chose ou que la saveur douce et amère d’une autre4.
Calvin exprime l’idée biblique5 que l’Écriture, parce qu’elle est la parole de Dieu et parce qu’elle révèle la gloire inimitable du seul vrai Dieu, elle a une qualité unique6 qui est directement perceptible de la même façon qu’on perçoit les couleurs et les saveurs. À cette qualité dans l’Écriture elle-même, Calvin ajoute le témoignage interne du Saint Esprit qui scelle le cœur humain avec une assurance surnaturelle de l’origine divine de l’Écriture7. C’est pour cette raison que la Bible est le point de départ pour tous nos raisonnements.
Démontrer la cohérence de la foi
Bien sûr, les non-chrétiens ne vont pas céder cette place à la Bible comme base et point de départ, et sans le travail du Saint Esprit, ils ne peuvent pas y voir ce que nous voyons. C’est pour cette raison que la tâche de l’apologétique n’est pas de prouver la foi chrétienne, mais d’en démontrer la cohérence. Nous sommes habitués à penser que nous devons construire des arguments sur quelque base commune pour qu’ils soient valides, pour que l’autre personne accepte les conclusions. Mais on ne peut pas procéder comme ça quand le sujet de la dispute est la base elle-même. Donc nous nous trouvons dans la situation où nous avons notre vision du monde sur notre base et l’autre a sa vision du monde construite sur sa propre base, deux explications opposées pour le même monde. Alors nous n’essayons pas de construire les conclusions de notre vision du monde sur une autre base, mais nous avons simplement à démontrer leur cohérence sur la nôtre. Si nous utilisons une autre analogie, c’est comme si notre vision du monde était une paire de lunettes, et que nous les prêtions à une autre personne pour qu’elle puisse voir leur pouvoir de clarifier le monde.
Pour pouvoir exposer les cohérences fondamentales de la perspective chrétienne, nous avons besoin d’avoir réfléchi profondément sur ce que nous croyons et pourquoi. Pour nous préparer à donner une réponse apologétique, nous devons chercher à comprendre comment la Bible explique le monde où nous vivons, nous et les personnes avec lesquelles nous discuterons. Mieux nous comprendrons notre foi comme un système de pensée complet, mieux nous aurons la capacité de trouver les erreurs cachées dans les objections contre la foi et d’expliquer pourquoi une contradiction apparente ne l’est pas en réalité.
Et de plus, il nous appartient de comprendre non seulement la logique de notre vision du monde, mais aussi la beauté. Je crois que cet aspect a une importance particulière dans notre contexte actuel où les gens sont plus persuadés par l’esthétique que par la logique et quand les principales objections sont éthiques plutôt que philosophiques. Alors il est utile et nécessaire de démontrer, par exemple qu’une interdiction de l’homosexualité est très cohérente dans une vision du monde biblique, mais il est encore mieux de faire briller la beauté glorieuse de l’éthique sexuelle trouvée dans la parole de Dieu.
Démontrer l’incohérence des alternatives
Dans la partie précédente, nous avons évoqué une confrontation entre deux visions du monde sur deux bases différentes, et la nécessité de défendre l’intégrité de la vision du monde biblique. L’autre côté de l’apologétique est de tourner vers l’autre vision du monde et montrer les contradictions, les points où cette vision du monde n’est pas cohérente avec le monde que Dieu a créé. C’est ici qu’une bonne compréhension de cette autre vision du monde est utile pour offrir de justes critiques. Il est bon de considérer quelles sont les visions du monde qui vous entourent dont il serait utile d’avoir une certaine connaissance.
Une façon puissante pour poursuivre la critique d’une autre vision du monde est de prendre les mêmes objections qui ont été offertes contre le christianisme et de les tourner contre l’autre vision du monde. Chaque objection a quelque chose de vrai en elle, sinon elle n’aurait aucun poids. Quel que soit ce noyau de vérité, il appartient proprement à la vision du monde biblique, parce que tout ce qui est vrai, est vrai par le décret de Dieu. Nous pouvons prendre cette vérité et montrer comment elle vient de la vision du monde biblique et non de l’autre.
Cette idée est mieux expliquée avec une exemple. Supposons qu’un athée nous propose l’objection que l’existence du mal est incompatible avec l’existence de Dieu. Implicite dans cette objection est l’idée que le mal et le bien sont de vrais concepts qui ont du sens dans notre monde. Or la vision du monde athée n’a aucune base pour ces concepts. Les sciences sont bien adaptées pour nous dire ce qui se passe, mais jamais ce qui devrait se passer. L’univers est complètement indifférent à notre conduite. Par contre, dans la vision du monde biblique, le bien et le mal trouvent leur base dans la nature bonne du Dieu créateur qui approuve une conduite et condamne une autre. Alors l’argument athée dépend des catégories chrétiennes pour trouver sa force.
Conclusion
Les derniers mots d’un traité d’apologétique doivent être les mots que Pierre utilise pour caractériser une saine apologétique : douceur et respect (1 Pi 3.15). Si notre but est de glorifier Dieu (et il doit l’être !), la manière dont nous défendons notre foi et critiquons une autre est aussi importante, voire plus importante, que le contenu. Ce n’est pas à nous de remporter le débat, mais simplement de dire la vérité le mieux que nous pouvons. Si nous faisons ça avec douceur et respect, nous glorifierons Dieu et nous donnerons un témoignage puissant.
Y. Imbert, Croire, Expliquer, Vivre, Charols/Aix-en-Provence, Excelsis/Kerygma, 2014, p. 36.
Il est utile à noter qu’il y a deux types de contradictions : internes et externes. Une contradiction interne est une contradiction entre deux affirmations de la vision du monde. Par exemple l’athéisme affirme à la fois que le cerveau humain n’est qu’un produit du hasard, et que ce même cerveau est capable de raisonner avec précision. Une contradiction externe est une contradiction entre une affirmation et la réalité. Un exemple de ça est l’affirmation du Coran que Jésus n’a pas été crucifié, contrairement à toute preuve historique.
N’oubliant pas que l’apologétique consiste en des actes autant qu’en des paroles, cette discussion se focalisera sur l’apologétique verbale pour laquelle la pratique est moins évidente.
J. Calvin, Institution de la Religion Chrétienne (IRC), I.7.2, (d’après la version modernisée par Marie de Védrines et Paul Wells, Aix-en-Provence/Charols, Kerygma/Excelsis, 2009).
Voir par exemple Jean 10.27 et Jérémie 23.29.
Voir l’usage du mot majesté par Calvin dans IRC I.7.4 et I.7.5.