Pourquoi la Bible, permet-elle l'esclavage ?
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J’ai écrit cet article comme devoir pour mon cours d’apologétique à la Faculté Jean Calvin. La question mérite d’être traitée dans un livre entier, mais voici une réponse courte (qui respecte la limite de 2200 mots qui m’a été imposée).
Introduction
La Bible est-elle pour ou contre l’esclavage ? Pendant que les abolitionnistes du 19e siècle s’appuyaient sur la Bible pour décrier cette institution, ceux qui défendaient l’esclavage avaient aussi leurs textes comme Éphésiens 6.5 : « Esclaves obéissez à vos maîtres. » Bien que les premiers aient pu dire que l’esclavage n’est pas en accord avec la dignité de l’homme et l’éthique de l’amour trouvées dans la Bible, ils ne pouvaient pas indiquer un verset qui l’interdirait tout simplement. John Loftus, athée américain, utilise ce fait comme une preuve que la Bible n’est pas la parole de Dieu. Si Dieu était derrière la Bible, ayant une moralité parfaite et prévoyant toute la souffrance qui arriverait à cause de l’esclavage, il aurait inclus certainement une prohibition comme, « Tu n’achèteras pas d’esclaves, ni les battras, ni les posséderas comme propriété
. » Alors, si nous croyons que la Bible est la parole de Dieu, comment pouvons-nous expliquer la tolérance pour l’esclavage que nous y trouvons ? Pourquoi la Bible n’interdit-elle pas l’esclavage ?Éléments préliminaires
Avant d’analyser le témoignage biblique, il y a trois éléments de l’objection qui doivent être corrigés ou clarifiés. Le premier est la naïveté d’imaginer qu’une interdiction biblique aurait eu un grand effet sur l’histoire de l’esclavage en Amérique. Loftus semble être coupable de cette naïveté quand il dit : « Si Dieu avait été très clair sur cette question dès le début, aucun croyant chrétien n’aurait pu jamais justifier bibliquement une institution aussi cruelle et barbare
. » Or, il est évident que les maîtres d’esclaves en Amérique montraient un non-respect presque total pour les régulations de leur conduite qui existaient dans la Bible en réalité. Comment peut-on croire qu’une simple interdiction aurait été respectée ?Le deuxième élément à considérer est le sens du mot « esclave ». Notre image de cet état se modèle souvent sur l’esclavage pratiqué en Amérique à partir du 16e siècle, mais l’esclavage dans les contextes où la Bible a été écrite était substantiellement différent
. Par exemple, pour nous la question de l’esclavage est étroitement liée au racisme, mais dans les contextes anciens le fait d’être un esclave n’était pas une simple fonction d’origine ethnique. Il faut expliquer aussi que notre distinction forte entre « serviteur » et « esclave » n’existait pas dans les langues bibliques. Le mot hébreu ‘ebed (עֶבֶד) peut décrire la situation de Joseph vendu par ses frères pour 20 sicles d’argent (Gen 39.17), mais c’est aussi le mot pour les ambassadeurs du roi David envoyés au roi des Ammonites (1 Chr 19.2-4). Ce que nous devons essayer de comprendre est que les catégories pour les anciens étaient différentes de nos catégories. Donc, nous ne devons pas simplement réagir à un mot, mais essayer de comprendre la chose décrite.La troisième considération préliminaire est de poser la question folle : Quel est exactement le problème avec l’esclavage ? Loftus simplement présuppose que l’esclavage est immoral en soi, et il n’essaie pas de justifier la prohibition qu’il propose. Mais pour être précis dans notre raisonnement, il ne suffit pas de savoir que quelque chose est mauvais sans savoir pourquoi. Le seul fondement plausible qui milite contre l’esclavage en soi (et pas seulement contre l’abus qui y est souvent lié) est un droit fondamental à la liberté
. Nous y croyons, mais est-ce qu’il faut considérer ce droit à la liberté comme un droit absolu, ou est-ce qu’il y a des circonstances qui peuvent le relativiser ? Nous devons admettre que même dans le 21e siècle où nous accentuons énormément la liberté individuelle, nous acceptons des limites pour cette liberté. Remarquons les prisons où les gens sont privés de leur liberté comme punition et pour assurer la sécurité dans le pays. Et nous détenons non seulement des criminels mais aussi des prisonniers de guerre. Naturellement il n’est pas possible de laisser libres des ennemis qui vont chercher la destruction du pays. Remarquons aussi l’armée où les soldats acceptent, ou sont obligés d’accepter, des limites étroites à leur liberté. Une fois encore la sécurité du pays nécessite que certains soient privés de certaines libertés. (Il est bien de constater aussi que beaucoup de militaires sont des volontaires, et qu’ils acceptent ces limites en vue des bénéfices liées au service militaire.) Finalement remarquons la pandémie actuelle qui démontre très bien que nous sommes prêts à accepter des limites de notre liberté en l’interêt de la santé publique. Ces exemples servent à montrer que la liberté des individus n’est pas un absolu qu’il faut garder à tout prix. Par contre la liberté est un bien à considérer à côté des autres biens comme la vie, la santé et la sécurité.Pourquoi la loi mosaïque permet-elle l’esclavage ?
L’esclavage n’est pas absent de la loi que Dieu a donnée à Israël, et il n’est pas condamné non plus, mais seulement régulé. Si Dieu est la source de toute moralité, comment la loi qu’il a conçue peut-elle supporter une telle institution ? Tout d’abord il faut préciser que tout ce qui est régulé dans la loi n’est pas approuvé de Dieu. Jésus dit explicitement que le divorce n’est pas en accord avec l’intention de Dieu pour le mariage, mais qu’il a été supporté dans la loi « à cause de la dureté de votre cœur. » (Mt 19.8) Nous comprenons par ça que Dieu n’envisageait pas par sa loi de légiférer une société parfaite, mais plutôt de placer des limites à la méchanceté et l’injustice, tout en menant son peuple vers l’idéal. Nous vivons, nous aussi, dans un monde déchu où nous devons avoir recours à des solutions imparfaites pour des problèmes difficiles.
C’est dans cet esprit que les régulations données pour l’esclavage tendent toutes à protéger les droits de l’esclave et de placer des obligations sur les maîtres. Si un maître tue son esclave, il doit être vengé (Ex 21.20). Si le maître lui donne une blessure permanente, l’esclave est libéré (Ex 21.26-27). Les esclaves hébreux doivent être libérés après six ans de service (Ex 21.2), et pas seulement libérés, mais généreusement équipés pour un nouveau commencement (Dt 15.13-15). Tout esclave a le droit de se reposer le jour du sabbat (Dt 5.14-15) et de participer aux fêtes d’Israël (Dt 12.11-12, Ex 12.43-44). Chose difficile à imaginer pour nous, les conditions d’esclavage dans la société israélite étaient telles qu’il était envisageable qu’un esclave refuse sa liberté après ses six ans de service pour rester avec son maître en permanence : « Si ton esclave te dit: Je ne veux pas sortir de chez toi, — parce qu’il t’aime, toi et ta maison, et qu’il se trouve bien chez toi, — alors […] il sera pour toujours ton esclave. » (Dt 15.16-17)
Quelles que soit les conditions de l’esclavage, la question reste : pourquoi était-il régulé et non simplement aboli ? La réponse tient au fait que Dieu n’a pas d’abord cherché à rendre son peuple parfait immédiatement, mais qu’il l’a pris « là où il en était. » L’esclavage existait déjà et répondait à certains problèmes, et Dieu l’a laissé en place avec des restrictions. Par exemple, l’esclavage fonctionnait comme un « filet de sécurité » pour des Israélites qui se trouvaient (pour une raison ou une autre) dans une situation désespérée. Ils pouvaient se vendre pour une période définie afin d’avoir à manger et d’avoir un nouveau départ à la fin de leur service (Dt 15.12-15, Lév 25.39-43). Un autre exemple concerne les captifs de guerre (Dt 20.10-11, 21.10-14). Dans le cas des hommes, ils ne pouvaient pas être laissés libres pour redevenir un danger, et dans le cas des femmes et des enfants il aurait été cruel de les laisser dans un pays dévasté sans les moyens de pourvoir à leurs besoins. L’esclavage donnait à ces captifs la possibilité de continuer à vivre sans compromettre la sécurité d’Israël. Nous pouvons imaginer qu’il aurait dû être possible de trouver de meilleures solutions pour ces problèmes, mais l’approche de la loi mosaïque est de transformer l’esprit des structures sociales déjà en place plutôt que d’inventer de nouvelles structures.
Pourquoi l’esclavage n’a-t-il pas été aboli dans le Nouveau Testament ?
Cette même logique de transformer le cœur, plutôt que de réformer les formes externes, continue et s’amplifie dans le Nouveau Testament. Comme dans l’Ancien Testament, le sujet de l’esclavage n’est pas absent. En particulier les instructions spécifiques à leur situation sont adressées aux esclaves et aussi aux maîtres. Les paroles de Paul en Éphésiens 5.5-9 sont représentatives :
Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair, avec crainte et tremblement, dans la simplicité de votre coeur, comme à Christ, non pas seulement sous leurs yeux, comme pour plaire aux hommes, mais comme des serviteurs de Christ, qui font de bon cœur la volonté de Dieu. Servez-les avec empressement, comme servant le Seigneur et non des hommes, sachant que chacun, soit esclave, soit libre, recevra du Seigneur selon ce qu’il aura fait de bien. Et vous, maîtres, agissez de même à leur égard, et abstenez-vous de menaces, sachant que leur maître et le vôtre est dans les cieux, et que devant lui il n’y a point d’acception de personnes.
Il n’y a pas d’abolition. Mais il faut noter tout d’abord que les chrétiens étaient très minoritaires dans le contexte du premier siècle, donc l’apôtre n’avait pas la possibilité d’effectuer de grands changements dans la société. Et en tout cas le souci de Paul n’est pas la justice des structures de la société, mais la conduite des chrétiens, où qu’il se trouvent dans ces structures. Il a à cœur que ses enfants spirituels glorifient Christ en étant le sel et la lumière du monde (Mt 5.13-16). Donc ses instructions ne changent pas la situation externe de l’esclave et du maître, mais la nature de cette situation est transformée par l’amour, et les différents rôles sont relativisés devant un Dieu qui est le souverain de tous. Cette approche a aussi l’avantage d’être plus flexible à l’égard des particularités des situations très diverses. Au lieu d’imposer une solution toute faite, Paul exhorte les chrétiens de « [marcher] dans la charité à l’exemple de Christ », une exhortation qui ne peut qu’améliorer toute situation où elle est appliquée.
La révélation pour tous les siècles
Le problème principal avec la question posée est finalement qu’au lieu de comprendre ce qui est l’enseignement de la Bible, elle ne s’intéresse qu’à ce que la Bible ne dit pas. La présupposition cachée est qu’il ne peut y avoir qu’une façon possible de confronter le mal de l’esclavage et que nous sommes certains de savoir ce qu’il fallait dire non seulement à notre génération, mais à toutes les générations qui nous ont précédés. Par contre, si nous suivons l’approche biblique, nous découvrons une éthique qui s’intéresse moins à ce que nous appelons nos relations, et plutôt à comment nous nous traitons dans ces relations. (À quoi sert-il d’appeler un homme « employé » si on l’abuse ?) D’abord dans la loi mosaïque et puis dans le Nouveau Testament, nous sommes conduits à considérer les conséquences de l’égalité de tous les humains (Gen 1.27, Gal 3.28), une égalité qui n’invalide pas toute relation d’autorité (Ex 20:12, Rom 13:1), mais qui la relativise. Nous découvrons le Dieu qui entend le cri des veuves et des orphelins (Ps 68.5) et qui voit les esclaves dans leur détresse (Gen 16.13). Et enfin nous rencontrons Jésus à la fois notre maître gracieux et le serviteur par excellence qui est venu non pas pour être servi mais pour servir (Mt 20.28, Jn 13.12-13, Phil 2.6-11). C’est ce message biblique qui fait son œuvre non comme un édit de l’extérieur, mais en transformant les cœurs des hommes envers leur prochain.
Historiquement, c’est exactement ce qui s’est passé. Après quelques siècles d’influence biblique sur la société, « l’Europe médiévale a rejeté l’esclavage – la seule culture à l’avoir fait sans contrainte extérieure
. » Et c’est à ce point que l’objection devient auto-réfutante. Sinon pour la Bible telle qu’elle existe, nous n’aurions pas cette idée fixée dans notre conscience que l’esclavage est un mal. La force morale de cette objection contre la Bible dépend de la Bible qui est la source originelle de notre rejet de l’esclavage.Nous remarquons aussi que là où la Bible a achevé une transformation morale radicale, la suggestion de Loftus n’aurait pas réussi. Une prohibition simpliste de l’esclavage est à la fois trop radicale et pas assez radicale. Elle est trop radicale en ce qu’il aurait été sociologiquement impossible de la mettre en pratique dans les sociétés anciennes. Et elle n’est pas assez radicale en ce qu’elle ne vise pas le cœur de l’exploitation, mais elle se contente d’en interdire une forme. Elle n’a rien à dire à notre société d’aujourd’hui, par exemple, puisque nous n’avons pas d’esclave. La révélation biblique, par contre, nous parle encore, nous appelant à vivre la bonne nouvelle de Jésus dans toute relation que ce soit employé ou chef, collègue ou compétiteur, président ou réfugié. En Christ et en sa parole nous avons la vraie solution pour l’esclavage autant que pour toute autre forme de notre rejet de Dieu.
J. Loftus, The Christian Delusion: Why Faith Fails, New York, Prometheus Books, 2010, édition Kindle, location 2481, “Thou shalt not buy, beat, or own slaves as property.”
Loftus, location 2479, “Had God been very clear on this issue from the beginning, no Christian believer could ever biblically justify such a cruel and barbaric institution.”
« Aucune description unique de l’esclavage ne correspond aux diverses formes qu’il a prises dans le monde antique. Cependant, il était très différent de l’esclavage pratiqué en Occident aux 18e et 19e siècles. » D. Nässelqvist, D., & G. Jardim, (2016). « Slavery » in J. D. Barry, D. Bomar, D. R. Brown, R. Klippenstein, D. Mangum, C. Sinclair Wolcott, … W. Widder (Eds.), The Lexham Bible Dictionary,Bellingham WA, Lexham Press, 2016. “No single description of slavery fits the various forms it took in the ancient world. However, it was quite different from the slavery practiced in the West during the 18th and 19th centuries.”
« Dans le monde occidental, la liberté est une valeur ultime. Ce n’est pas le cas en Israël, où la question est de savoir qui vous servez (comme l’a dit Bob Dylan, tu “dois servir quelqu’un”), et une grande partie de votre importance vient de là. » J. Goldingay Old Testament Theology: Israel’s Life, Downers Grove IL, InterVarsity Press, 2009, Vol. 3 p. 460. “In the Western world, freedom is an ultimate value. This is not so in Israel, where the issue is whom you are serving (as Bob Dylan put it, you “gotta serve somebody”), and much of your significance comes from here.”
Force est de constater qu’un droit fondamental à la liberté est très contestable dans une vision du monde athée.
J’étais moi-même dans la marine américaine.
R. Stark, How the West Won: The Neglected Story of the Triumph of Modernity, Wilmington DE, Intercollegiate Studies Institute, 2014, Édition Kindle, location 2260, “…medieval Europe rejected slavery—the only culture ever to have done so without external compulsion.”