Voici, moines, la Vérité Noble dite dukkha. La naissance est dukkha, la vieillesse est aussi dukkha, la maladie est aussi dukkha, la mort est aussi dukkha, être uni à ce que l’on n’aime pas est dukkha, être séparé de ce que l’on aime est dukkha, ne pas obtenir ce que l’on désire est aussi dukkha. En résumé, les cinq agrégats d’attachement sont dukkha1.
Le premier constat de la vision du monde bouddhiste est l’existence et l’universalité de dukkha. Depuis la naissance et jusqu’à la mort, toute la vie humaine est touchée par cette souffrance, cette frustration, cette insatisfaction. Cette Vérité est comparable à ce que dit l’ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité (Ec 1.2). »
Il y a dans le bouddhisme cette conscience que le monde n’est pas comme il devrait être, ou comme nous voudrions qu’il soit. Le dukkha est un problème. Le dukkha est ce qui ne va pas. Le désir de l’homme est d’échapper à, ou de mettre fin à l’expérience de dukkha. Ce constat de dukkha rejoint la vérité biblique que le monde que nous habitons est déchu. Effectivement, il y a de la souffrance, de la frustration, de l’insatisfaction, et les choses ne vont pas comme elles devraient. Ce n’est pas que ce problème touche à certains aspects de la vie ou du monde, mais cette corruption est universelle.
La Bible explique que ce dukkha est la conséquence de la séparation entre Dieu et l’homme à cause de la chute. Les humains et le monde entier souffrent de l’absence de Dieu. Ainsi, la Bible explique le problème de dukkha plus profondément que les sources bouddhistes. Quand Peter Harvey pose la question : « Est-ce que le bouddhisme est pessimiste en mettant l’emphase sur les aspects désagréables de la vie2 ? », la réponse de la Bible est à la foi « oui » et « non. » D’un côté, non, le concept bouddhiste du dukkha n’est pas assez pessimiste parce que le bouddhisme sous- estime le dukkha. Le bouddhisme ne voit pas les racines du dukkha dans le péché, et par conséquent, la solution proposée est inadéquate. De l’autre côté, oui, le concept bouddhiste du dukkha est trop pessimiste parce que l’on nie l’existence du Dieu qui est en dehors de l’univers, et qui n’est pas atteint par dukkha.
La différence dans le point de départ est révélatrice. La première vérité du bouddhisme est l’existence de dukkha, mais la Bible commence par le bon Dieu et sa bonne création. Le dukkha n’apparaît pas avant Genèse 3, et cela en tant qu’intrus, un élément étranger à cette bonne création. Ainsi, la Bible explique que le dukkha, bien que ce soit l’expérience de tout être humain, n’est pas naturel. Le bouddhisme, par contre, ne fait pas du dukkha une réalité non-naturelle puisqu’il fait partie des fils de trame de l’univers depuis l’éternité passée3.
La justice personnelle ou impersonnelle
Dans le bouddhisme, on parle de dukkha et non pas de péché. Ce langage reflète le fait qu’il n’y a pas de Suprême Juge dans la vision du monde bouddhiste, et les conséquences pour les actions humaines, qu’elles soient mauvaises ou bonnes, sont des conséquences mécaniques et impersonnelles. « Les résultats karmiques sont simplement considérés comme des résultats naturels, découlant d’une sorte de loi de la nature4. »
Cette conception des choses peut être attractive en évitant l’image désagréable d’un Dieu vengeur ainsi que certaines difficultés comme le problème du mal5. Mais le problème pour cette conception est le fait que la moralité et la justice sont intrinsèquement personnelles. Le fait de voler les affaires de son voisin n’est pas mauvais parce que les conséquences sont mauvaises ; le vol est mauvais parce que c’est une offense contre des personnes dont la plus importante est Dieu. Quand un ours tue un homme, c’est une tragédie, mais quand c’est un homme qui le fait, c’est un meurtre. Cette distinction qui est évidente pour les personnes faites à l’image de Dieu n’a pas de place dans la vision de monde bouddhiste où il n’y a pas de Dieu saint comme fondement de la réalité morale.
Alors le constat bouddhiste de dukkha reflète la réalité du monde déchu, mais tant que dukkha n’est pas compris comme étant essentiellement la séparation d’avec Dieu, ce concept est incomplet et erroné. La Bible rend compte du dukkha, explique son extranéité par rapport à la bonne création de Dieu, et l’approfondit par la mise en relief du péché qui le sous-tend. Ainsi, la doctrine biblique du péché incorpore et dépasse la doctrine du dukkha.
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Lire la partie 2 :
Môhan Wijayaratna, trad., « Dhammacakkappavattana sutta (SN 56.11) », consulté le 28 mars 2025, en ligne, https://www.dhammadelaforet.org/sommaire/sutta_tipaka/txt/dhammacakkappavattana_mw.html, consulté le 28 mars 2025.
Peter Harvey, Buddhism and Monotheism, Cambridge Elements: Religion and Monotheism, Cambridge, Cambridge University Press, 2019, p. 13. « Is Buddhism ‘pessimistic’ in emphasizing the unpleasant aspects of life? »
Ibid., p. 31. « Abrahamic religions see ‘creation’ as ‘good’ (Genesis 1, vv.4, 10, 12, 21, 25, 31)–at least prior to the ‘fall’ generated by bad use of human free will. On the whole, Buddhism does not see the world as ‘good’, neither does it see it as ‘evil’; rather, it is problematic, imbued with dukkha. »
Ibid., p. 8. « Karmic results are seen simply as natural results, arising from a kind of law of nature. »
Par exemple : Steven Hagen, Buddhism Plain and Simple. The Practice of Being Aware Right Now, Every Day, New York, Tuttle, 2011, p. 97–99; Peter Harvey, op. cit., p. 54–56.