« Faith is believing what you know ain't so1. » Ainsi la définition donnée par un personnage de Mark Twain. Cela est bien une façon de comprendre la relation entre la foi et la raison : la raison donne les savoirs et la foi les ignore. C’est sûr que certains athées voient les choses précisément de cette manière, mais est-ce la meilleure option ? N’y a-t-il pas une autre manière de formuler l’articulation entre les deux, une manière plus respectueuse de la foi qui donne à chaque faculté sa juste valeur ? C’est Dieu qui est l’auteur et de la raison, et de la foi, et il nous donne toutes les deux pour que nous en profitions. Normalement les deux doivent être compatibles, et c’est bien le cas. Dans cette séries d’articles, nous verrons tour à tour :
Trois conceptions de la relation entre la foi et la raison
Trois conceptions de la relation entre la foi et la raison
Une fois que nous avons une idée claire de ce que nous entendons par « raison » et par « foi », nous sommes préparés à chercher l’articulation entre les deux. Considérons trois possibilités :
La foi sur la raison
Une possibilité est de considérer que la raison est fondamentale, et que la foi dépend d’elle. C.S. Lewis, par exemple, dit que le rôle de la foi est de donner au croyant la persévérance de continuer dans ses croyances qui ont été acquises par la raison :
Or, je définis la Foi comme le pouvoir de continuer à croire ce que nous pensions honnêtement être vrai jusqu'à ce que des raisons convaincantes de changer honnêtement d'avis nous soient présentées. […] La raison peut gagner des vérités ; sans la Foi, elle les conservera aussi longtemps que Satan le voudra. Il n'y a rien que l'on ne puisse nous faire croire ou ne pas croire. Si nous voulons être rationnels, non pas de temps en temps, mais constamment, nous devons prier pour le don de la Foi, pour le pouvoir de continuer à croire, non pas aux dents de la raison, mais aux dents de la luxure et de la terreur et de la jalousie et de l'ennui et de l'indifférence, ce que la raison, l'autorité ou l'expérience, ou les trois, nous ont une fois livré comme vérité2.
Selon cette conception, la foi est subordonnée à la raison qui est la vraie arbitre entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Il n’y a pas de conflit possible entre les deux, parce que la foi n’avance pas de nouvelles propositions qui pourraient contredire celles déjà tenues par la raison.
Cette possibilité rend justice au fait que la foi est rationnelle et normalement compatible avec la raison. Le problème est que cette foi est trop limitée ; elle n’a pas la possibilité d’enseigner les choses qui dépassent la raison, ni de corriger la raison quand elle a tort. La foi ne dépend pas de la raison comme si elle n'était pas le don de Dieu, ou comme si l'homme pouvait arriver indépendamment à savoir des choses qui sont connues à Dieu seul et révélées dans sa parole.
La foi sans la raison
La tendance rationaliste de minimiser le rôle de la foi a provoqué certains dans l’histoire de chercher une autre formulation qui garderait une vraie place pour la foi. Alors Emmanuel Kant dit dans une préface de sa Critique de la raison pure : « Je dus donc abolir le savoir afin d’obtenir une place pour la croyance3. » Cette place pour la foi est assurée par la division du champ des connaissances humaines en deux sphères, celle de la raison et celle de la foi. Chaque faculté est souveraine dans sa sphère, ce qui garantit qu’il n’y a pas de conflit entre les deux. La foi gouverne la religion et la raison gouverne les sciences.
Cette conception a raison de voir des différentes sphères de connaissance dont certaines sont plus dans la logique de la foi alors que d’autres mettent l’emphase sur la raison. Trop souvent nos contemporains écarte le christianisme à cause d’une impression vague que les sciences ont prouvé la non-existence de Dieu. Guillaume Bignon admet qu’il a été un peu surpris de découvrir « qu’aucune de mes connaissances scientifiques accumulées en filière scientifique, classe préparatoire et école d’ingénieur, n’étaient hostiles à l’existence de Dieu (ou même franchement pertinentes vis-à-vis du sujet)4. » La raison a bien ses limites et il y a des questions où elle est incompétente.
Il n’est pas possible, toutefois, de diviser nos connaissances nettement en deux. La révélation de Dieu n’est pas contente de se limiter à des réalités spirituelles qui seraient déconnectées du monde tangible. L’affirmation centrale du christianisme est qu’un homme crucifié est revenu à la vie dans son corps physique, et qu’il a été vu et touché par les êtres humains dans même monde que nous habitons. Cette affirmation peut être vraie ou fausse, mais elle ne peut pas être isolée de la sphère de la raison humaine. Si on avait pu trouver le corps de Jésus, le christianisme serait faussé. Mais ce corps n’a pas été trouvé ; au contraire, Jésus a prouvé sa résurrection à plusieurs témoins par des preuves tangibles.
Alors les sphères de la foi et de la raison ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. Mais s’il y a des preuves de la résurrection de Jésus accessibles à la raison humaine, risquons-nous de rendre caduque la foi ? La réponse est non pour trois raisons. Premièrement l’argument historique pour la résurrection de Jésus a une vraie valeur, mais la parole de Dieu est toujours plus sure que l’interprétation des preuves historiques. Deuxièmement certains éléments de l’évangile ne sont pas accessibles à la raison humaine, notamment que la mort de Christ a servi pour l’expiation de péchés. Pour comprendre et accepter le salut de Jésus, nous sommes toujours dépendants de la foi. Finalement, la foi n’est pas que le moyen par lequel nous savons les faits de l’évangile, mais aussi la confiance que nous mettons en Jésus Christ pour notre salut. En cet aspect, la foi n’a aucun chevauchement avec la raison humaine.
La foi contre la raison
Une troisième possibilité nie à la fois la compatibilité de la première option et la séparation de la deuxième. Selon cette formulation ce que nous apprenons par la foi est réellement en conflit avec ce que nous dit la raison, et donc il faut choisir entre les deux. Soit nous donnons la priorité à la raison, et nous refusons de croire, soit nous donnons la priorité à la foi, et nous croyons tout en acceptant que c’est irrationnel. Un exemple de cette approche se trouve dans la pensée de Søren Kierkegaard :
Le dogme chrétien, selon Kierkegaard, comporte des paradoxes qui heurtent la raison. Le paradoxe central est l'affirmation selon laquelle le Dieu éternel, infini et transcendant s'est simultanément incarné dans un être humain temporel et fini (Jésus). Nous pouvons adopter deux attitudes face à cette affirmation : avoir la foi ou nous offenser. Ce que nous ne pouvons pas faire, selon Kierkegaard, c'est croire en vertu de la raison. Si nous choisissons la foi, nous devons suspendre notre raison afin de croire en quelque chose de plus élevé que la raison. En fait, nous devons croire en vertu de l'absurde5.
Ce qui est appréciable dans cette perspective est qu’elle prend au sérieux le fait que la foi semble aller souvent à l’encontre de notre raison. La promesse d’une descendance à un couple âgé est en contradiction avec la logique que nous utilisons ordinairement. La promesse qu’une vierge accouchera d’un fils l’est d’autant plus. La foi nous exige toujours de préférer les choses que nous ne pouvons pas voir à les choses qui sont devant nos yeux. Cette conception de la foi embrasse ce fait en insistant qu’il faut donner la priorité à la foi qui est supérieure à la raison humaine.
Cependant, il n’est pas correct de pousser notre perception de ce conflit au point où nous considérons que la foi est irrationnelle ou absurde. Là où il y a un conflit entre des propositions, ce n'est pas qu'il y ait vraiment un conflit entre la parole de Dieu et ce qui est proprement de la Raison. Les conflits apparents sont le résultat d’une erreur humaine, soit dans l’application de la raison, soit dans l’interprétation de la parole de Dieu. Si nous disons que la naissance d’Isaac ou de Jésus est contraire à la raison, nous nous trompons parce que nous ne prenons pas en compte l’omnipotence de Dieu. Abraham ne fait pas cette erreur, et quand Dieu lui dit qu'il sera le père de plusieurs nations, il tient cette proposition pour vraie, par la foi, avec le plein consentement de la raison.
M. Twain, Following the Equator: A Journey Around the World, Harper & Bros, 1899, p.132. « La foi, c’est de croire ce que tu sais n’est pas vrai. »
C.S. Lewis, Christian Reflections, Glasgow, Collins, 1980, pp. 62-63. “Now I define Faith as the power of continuing to believe what we once honestly thought to be true until cogent reasons for honestly changing our minds are brought before us. […] Reason may win truths; without Faith she will retain them just so long as Satan pleases. There is nothing we cannot be made to believe or disbelieve. If we wish to be rational, not now and then, but constantly, we must pray for the gift of Faith, for the power to go on believing not in the teeth of reason but in the teeth of lust and terror and jealousy and boredom and indifference that which reason, authority, or experience, or all three, have once delivered to us for truth.”
E. Kant, Critique de la raison pure, trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud, Paris, Presses Universitaires de France, 1944, p. 24.
G. Bignon, La Foi a ses raisons. Confessions d’un athée surpris par Dieu, Marpent, BLF Éditions, 2018, p. 138.
W. McDonald, « Søren Kierkegaard », The Stanford Encyclopedia of Philosophy, (Winter 2017 Edition), ed. E.N. Zalta <https://plato.stanford.edu/archives/win2017/entries/kierkegaard/>. “Christian dogma, according to Kierkegaard, embodies paradoxes which are offensive to reason. The central paradox is the assertion that the eternal, infinite, transcendent God simultaneously became incarnated as a temporal, finite, human being (Jesus). There are two possible attitudes we can adopt to this assertion, viz. we can have faith, or we can take offense. What we cannot do, according to Kierkegaard, is believe by virtue of reason. If we choose faith we must suspend our reason in order to believe in something higher than reason. In fact we must believe by virtue of the absurd.”