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« Faith is believing what you know ain't so. » Ainsi la définition donnée par un personnage de Mark Twain. Cela est bien une façon de comprendre la relation entre la foi et la raison : la raison donne les savoirs et la foi les ignore. C’est sûr que certains athées voient les choses précisément de cette manière, mais est-ce la meilleure option ? N’y a-t-il pas une autre manière de formuler l’articulation entre les deux, une manière plus respectueuse de la foi qui donne à chaque faculté sa juste valeur ? C’est Dieu qui est l’auteur et de la raison, et de la foi, et il nous donne toutes les deux pour que nous en profitions. Normalement les deux doivent être compatibles, et c’est bien le cas. Dans cette séries d’articles, nous verrons tour à tour :
La foi
Foi et raison : la portée pour la théologie
La Foi
La définition de la foi donnée par Geerhardus Vos est : « une acceptation comme vrai par laquelle nous ne nous appuyons pas sur nous-mêmes, mais sur le témoignage d’un autre
. » C’est par la foi donc que nous pouvons savoir des choses qui sont hors de notre expérience et notre capacité de raisonner, en profitant des connaissances des autres. Des exemples de cette foi générale se trouvent en Luc 24.11 où les disciples ne croient pas les femmes qui rapportent ce qu’elles ont expérimenté au tombeau de Jésus (manque de foi dans ce cas), et en Jean 4.21 où Jésus dit : « Femme, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. » Ce que cette femme samaritaine ne pouvait pas savoir par ses propres moyens, Jésus le lui annonce pour qu’elle le sache. De même nous lisons en Hébreux 11.1 : « Or la foi, c’est la ferme assurance des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit pas. » Les choses qui sont saisies par la foi ne sont pas présentées à nos sens, mais elles sont crues sur le témoignage d’un autre.La foi implique alors une mesure de confiance dans l’autre personne. Si nous considérons que quelqu’un n’est pas fiable, nous serons peu disposés à croire ce qu’il dit. Par contre, si nous considérons que quelqu’un est fiable et qu’il a des connaissances sur un sujet, nous pouvons croire ce qu’il dit même quand c’est en contradiction avec nos propres raisonnements. Si un professeur de géographie ou un ami camerounais me dit que la capitale du Cameroun est Yaoundé, je vais probablement croire ce témoignage même si j’étais presque sûr que c’était Douala.
Cet exemple relève le fait que la foi est hautement rationnelle, et de plus, qu’il n’est pas possible de savoir grand-chose sans elle. Il n’est pas irrationnel de faire soumettre ma raison à des connaissances supérieures de mon ami camerounais. Au contraire, quand quelqu’un est mieux placé que moi pour savoir la vérité, la démarche rationnelle est de préférer son témoignage à mes propres idées. Pour un autre exemple, les physiciens nous disent que le temps ne coule pas à la même vitesse pour tout le monde, mais qu’il passe plus vite pour ceux qui sont en mouvement rapide. Cette affirmation est bien contre-intuitive et je ne suis pas en mesure moi-même de vérifier la chaine de logique par laquelle ils y arrivent. Et quand même, ma confiance dans les scientifiques est telle que j’accepte cette affirmation comme vraie.
Ce n’est pas seulement dans la géographie de pays lointains ou dans la physique théorique que nous sommes dépendants de la foi pour nos connaissances. Comme note Vos, un peu de réflexion révélera que la majeure partie de loin de ce que nous savons dépend de la foi. « La vie est un océan vaste dont seulement une toute petite portion se trouve dans notre horizon, et cette petite portion est presque saturée par ce que nous ne savons que par la foi
. »Il ne vaut rien donc d’imaginer que la raison se distingue de la foi par la rationalité. Toutes les deux sont rationnelles ; toutes les deux sont imparfaites. En fin de compte, nous avons besoin des deux pour comprendre le monde qui nous entoure.
La foi qui sauve
La foi salvifique dont parle habituellement le Nouveau Testament est un cas particulier de cette foi générale. Le Catéchisme de Heidelberg définit cette foi ainsi :
Ce n'est pas seulement une connaissance certaine par laquelle je tiens pour vrai tout ce que Dieu nous a révélé par sa Parole ; mais c'est aussi une confiance du cœur que l'Esprit Saint produit en moi par l'Evangile et qui m'assure que ce n'est pas seulement aux autres mais aussi à moi que Dieu accorde la rémission des péchés, la justice et le bonheur éternels, et cela par pure grâce et par le seul mérite de Jésus-Christ
.
Cette foi est comme la foi générale en ce que nous acceptons les choses comme vraies sur le témoignage d’un autre. Sa première particularité est que cet autre est Dieu lui-même. Comme la confiance que nous pouvons avoir dans les affirmations acquises par la foi dépend de la fiabilité de la personne qui nous les dit, quand cette personne est Dieu, qui ne dit jamais autre que la vérité, notre confiance dans sa parole peut dépasser toute autre source d’information. Comme nous sommes prêts à accepter des choses contre-intuitives sur l’autorité des physiciens, combien plus aurons-nous raison de croire des choses paradoxales sur l’autorité de Dieu ?
La deuxième particularité de cette foi se trouve dans la phrase « par le seul mérite de Jésus-Christ. » La confiance de la foi salvifique n’est pas seulement dans la fiabilité du témoignage de Dieu, mais aussi dans la perfection de son salut. C’est pour cette raison que la foi est souvent mise en opposition avec les œuvres (e.g. Ro 4.4-5). Cette foi nous mène à abandonner tous nos propres efforts pour nous réconcilier à Dieu, parce que nous croyons en Jésus.
La troisième particularité qui suit naturellement la deuxième est l’appropriation. La foi qui sauve ne consiste pas simplement à adhérer aux bonnes doctrines (cf. Jc 2.19), mais il est nécessaire de faire l’application à soi et d’accepter le salut qui est offert dans l’évangile.
Finalement, la foi qui sauve est particulière en ce qu’elle n’est pas naturelle à l’homme déchu, mais elle est produite par le Saint Esprit. Alors, tous les hommes exercent la foi générale par nature, mais la foi salvifique est un don surnaturel, possédé seulement par ceux qui le reçoivent de la part du Saint Esprit.
La foi d’Abraham
L’exemple clé de la foi qui sauve est celui d’Abraham cité par Paul en Romains 4.3 : « En effet, que dit l’Ecriture ? Abraham a eu confiance en Dieu et cela lui a été compté comme justice. » Paul fait référence à Genèse 15 où Dieu promet à Abraham que sa descendance sera aussi nombreuse que les étoiles du ciel alors qu’Abraham et Sarah étaient déjà très âgés et n’avaient pas d’enfant. C’est par la foi alors qu’Abraham croit qu’il aura une descendance. Ce que Dieu lui dit, il tient pour vrai, même si au niveau humain toutes ses connaissances allaient à l’encontre de cette espérance. Avant de recevoir la promesse, Abraham disait tout simplement que son serviteur Eliézer allait être son héritier (Ge 15.2-3). Mais quand Dieu parle, il préfère la vérité infaillible à ses propres raisonnements.
Cette foi dans la parole de Dieu est aussi une foi dans le pouvoir de Dieu. Abraham considère non seulement que Dieu connait le futur, mais aussi qu’il est capable d’accomplir ce qui est normalement impossible. Désormais, Abraham ne se confie plus à lui-même pour son avenir, mais à Dieu.
La rationalité de la foi salvifique
Le fait que la foi qui sauve est un don de Dieu est indiqué par Philippiens 1.29 : « En effet, il vous a été fait la grâce non seulement de croire en Christ, mais encore de souffrir pour lui. » La même réalité est illustrée par l’expérience de Lydie dont nous lisons « le Seigneur a ouvert son cœur pour qu’elle soit attentive à ce que disait Paul (Ac 16.14). » Le fait que cette foi n’est pas commune à tout le monde peut poser un problème, parce que ce qui semble évident et raisonnable au croyant n’est que pure folie dans les yeux du non-croyant. Ainsi Paul explique en 1 Corinthiens 2 :
Mais, comme il est écrit, ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, Dieu l’a préparé pour ceux qui l’aiment. Or, c’est à nous que Dieu l’a révélé, par son Esprit, car l’Esprit examine tout, même les profondeurs de Dieu. […] Mais l’homme naturel n’accepte pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu, car c’est une folie pour lui ; il est même incapable de le comprendre, parce que c’est spirituellement qu’on en juge. L’homme dirigé par l’Esprit, au contraire, juge de tout et n’est lui-même jugé par personne. (1 Co 2.9-15)
La différence entre les deux n’est pas que le non-croyant forme ses croyances rationnellement par la raison alors que le croyant accepte des choses irrationnellement par la foi. Le croyant a une bonne raison pour croire les choses qu’il croit ; il croit sur l’autorité de Dieu. Cette confiance dans la parole de Dieu n’est pas irrationnelle ; au contraire, ce qui est irrationnel est de ne pas croire la parole de Dieu.
Le don de la foi est ainsi un type de guérison. Quand l’esprit humain fonctionne correctement, nous croyons le Dieu qui sait tout et qui ne ment jamais. C’est la corruption du péché qui fait en sort que l’esprit humain n’est pas capable de faire confiance à Dieu. Quand le Saint Esprit restaure cette capacité, ce n’est pas un départ de la rationalité, mais un retour à celle-ci. Ainsi Paul décrit le don de la foi comme une restauration de la vue :
3Si notre Evangile est encore voilé, il l’est pour ceux qui périssent, 4pour les incrédules dont le dieu de ce monde a aveuglé l’intelligence afin qu’ils ne voient pas briller l’éclat que projette l’Evangile de la gloire de Christ, qui est l’image de Dieu. […] 6En effet, le Dieu qui a ordonné que la lumière brille du sein des ténèbres a aussi fait briller sa lumière dans notre cœur pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu dans la personne de Jésus-Christ. (2 Co 4.3-6)
Alors le croyant, ainsi que le non-croyant, a accès à la parole de Dieu, mais c’est par la foi que le croyant est rendu capable de faire confiance à Dieu pour croire ce qu’il dit.
La reconnaissance de la parole de Dieu
Nous disons que nous croyons les choses affirmées dans la Bible par la foi. Comme la Bible est la parole de Dieu, nous croyons ce qui y est révélé parce que nous l’acceptons sur l’autorité de Dieu. Mais comment arrivons-nous à savoir que la Bible est en fait la parole de Dieu ? L’explication succincte de la Confession de Westminster suffira pour cette étude :
Nous pouvons être amenés et incités par le témoignage de l'Eglise à accorder à l’Ecriture Sainte une considération profonde et pleine de respect. De plus, la nature divine du contenu, la portée pratique de la doctrine, la majesté du style, la cohérence de toutes les parties, l’objectif de l'ensemble (qui est de donner à Dieu toute gloire), la pleine révélation de l'unique chemin conduisant au salut, de nombreuses autres qualités incomparables - bref: sa perfection pleine et entière - sont autant d'éléments par lesquels la Parole de Dieu s'authentifie elle-même. Néanmoins, notre conviction et notre certitude quant à l'infaillible vérité et à la divine autorité du texte ne proviennent que de l'œuvre intérieure du Saint-Esprit portant témoignage, par et avec la Parole, dans nos cœurs
.
Il y a donc deux éléments nécessaires pour que nous reconnaissions la parole de Dieu. Premièrement la Bible elle-même donne des preuves objectives de son origine divine. Ces preuves seraient suffisantes pour prouver ce fait sauf pour la corruption de l’homme qui s’aveugle lui-même pour éviter la connaissance de Dieu. Le deuxième élément est donc nécessaire, le témoignage du Saint Esprit. Cette œuvre est la guérison des yeux pour voir la gloire de Dieu manifestée dans l’Écriture et la guérison des oreilles pour reconnaître sa voix qui y parle. La conviction que la Bible est la parole de Dieu est rationnelle parce que c’est perçu immédiatement par l’esprit humain lorsque celui-ci est guéri de sa corruption. Ce n’est pas un présupposé arbitraire ou une « saute de foi » sans fondement. Croire que la Bible est la parole de Dieu parce que j’y reconnais sa voix est aussi rationnel que croire que ma femme est devant moi parce que je reconnais son visage.
M. Twain, Following the Equator: A Journey Around the World, Harper & Bros, 1899, p.132. « La foi, c’est de croire ce que tu sais n’est pas vrai. »
G. Vos, Reformed Dogmatics, ed. R.B. Gaffin Jr., trad. R.B. Gaffin Jr., vol. 4 Bellingham WA, Lexham Press, 2012–2016), p. 89. “Faith is an acceptance as true by which we do not rest in ourselves but in the testimony of another.”
Ibid., p. 89. “Life is a large ocean of which only a small segment falls within our horizon, and this small segment is nearly endlessly suffused with what we can know only by faith.”
Catéchisme de Heidelberg, trad. P. Courthial et C. van Leeuwen, Aix-en-Provence, Kerygma, 1986, Réponse 21, p. 32.
La Confession de Foi de Westminster, trad. D. Berthoud et P. Courthial, Aix-en-Provence, Kerygma, 1988, I.5, p. 4.